Rencontre estivale (partie 3)
Voyez avant la deuxième partie de cet article.
La rencontre avec les incroyables comestibles de Vannes a été plus qu’un agréable moment. Personnellement, elle m’a interpellée sur plusieurs points que j’aimerais maintenant partager avec vous, car ils offrent des perspectives et des interrogations sur le mouvement.
De la place des comestibles
Évidemment mettre des comestibles sur un parking est une mauvaise chose du point de vue de la pollution. Mais, on pourrait voir dans la courageuse occupation de la place du Général de Gaule ce que la nature a d’incroyable : proliférer là où on ne l’y attend pas. Car de deux choses l’une, ou par précaution sanitaire on se refuse de cultiver là où les véhicules sont présents, on repousse les cultures dans d’autres lieux et on véhicule les comestibles pour les ramener au consommateurs ou, sciemment, on cultive là où la nature n’a plus de droits, en ville comme sur un parking, pour mener la réflexion sur l’impact des déplacements personnels sur nos lieux de vie.
Les incroyables comestibles de Vannes ont choisi d’interroger la ville sur le lieux de travail des commerçants en investissant une place-parking, ironiquement située devant une cour de préfecture aussi grande que la place et interdite, elle, au stationnement !
Cette position, forte de sens, est à méditer pour les incroyables comestibles suisses dont l’approche est différente. À la Chaux-de-Fonds, par exemple, très rapidement l’idée de cultiver sur l’axe central de la ville, parcouru par les voitures, a été rejetée. Pourtant, de nombreux cafés y disposent de terrasses « en plein trafic » qui exposent surtout les personnes (consommateurs et commerçants) sans que cela semble poser de problèmes.
La question de la place des comestibles en ville va donc bien plus loin que celle des végétaux décoratifs.
D’une place emblématique
Lorsque la question de l’existence des incroyables comestibles de Vannes m’est apparue, mon premier réflexe a été de me rendre sur leur site. Puis, immédiatement, d’y trouver une carte pour pouvoir les localiser. Or, il se trouve que celle-ci recensait quelque neuf bacs sur la place du Général de Gaule sur une quinzaine en ville de Vannes. C’est donc là que, ma femme et moi, nous sommes rendu tout d’abord.
Tout d’abord ? En réalité, je devrais dire … uniquement. Soyons honnêtes, nous n’avons pas pris le temps de passer par les autres bacs, essentiellement esseulés.
Cela suggère deux remarques :
- dans quelle mesure un lieu emblématique unique, fortement investi par les comestibles, est-il préférable à une décentralisation dispendieuse en déplacements ou rendue malaisée par une géolocalisation approximative ?
- s’il existe un tel lieu emblématique unique, quel rôle jouent alors les bacs des autres lieux ?
Il faut reconnaître qu’il est agréable de disposer d’un lieu où sont présents beaucoup de comestibles, beaucoup de réalisations différentes et où il est possible de s’arrêter véritablement (bancs, café, jeux pour les enfants, …).
Mais, si un tel lieu existe, l’intérêt de se rendre vers des réalisation plus modeste est amoindri, à moins que celui-ci ne serve de « portail », comme on dit en informatique, pour aller vers les autres lieux. Ce qui pose le problème des indications pour s’y rendre que la place principale devrait fournir en complément à la carte sur site. Panneau indicateur, carte physique ou autre ?
Si un tel lieu n’existe pas, selon notre expérience de Vannes, il pourrait être intéressant d’envisager des parcours de la ville et cela en rapport avec ses curiosités (officielles ou suggérées par les incroyables comestibles). Cela impliquerait des choix réfléchis (en rapport ou pas avec les autorités) pour la pose des bacs, de façon à leur associer différents éléments valorisants et certainement de faire figurer sur la carte du site internet des parcours intéressants par exemple ou des éléments remarquables associés.
Des commerces
Étonnamment, je l’ai dit, ce sont les commerçants qui sont à l’origine d’une partie des bacs de Vannes. Cette relation très inattendue est cependant ambiguë en ce sens que si les commerçants de la place de Gaulle ont ressenti la nécessité d’un apport végétal pour leurs clients comme pour eux-mêmes et celle d’une valorisation de leurs propres produits par ceux des incroyables comestibles, ils n’ont pas manqué semble-t-il de poser le problème de l’accessibilité pour leurs fournisseurs et de la nécessité de conserver leurs places de parking. Et l’ambiguïté est d’autant plus grande quand on imagine la place occupée au sol par les véhicules en regard de celle des terrasses.
Cela est à mettre en parallèle d’une autre rencontre, que ma femme et moi-même avons faite à Vannes, d’un vélocipédiste français, pendant plusieurs années coursier en vélo au Canada. Selon lui, si déplacer professionnellement des marchandises en vélo au Canada est parfaitement rentable, à Vannes c’est illusoire, non pour des raisons de trafic, de quantité de marchandise transportée ou de déclivité, mais pour des raisons culturelles.
Cela est aussi à mettre en parallèle avec la place du port de Vannes, à l’exception des livreurs interdite au parcage devant les cafés manifestement pour des raisons esthétiques, tout en autorisant le passage des voitures (un parking souterrain étant à disposition non loin).
Reste que mettre en avant des produits cultivés sur place parallèlement à ceux fournis par les restaurants constitue une belle valeur ajoutée pour eux. Une démarche pour l’expliquer est-elle souhaitable, envisageable ailleurs ?
De l’autoconstruction et de l’arrosage
À Vannes l’arrosage est pris en charge par la ville. Ma mauvaise connaissance des besoins en eau des différentes plantes ne me permet pas une vision claire des choses. Mais, le sol des comestibles de Vannes était relativement sec et cela m’a doublement questionné :
- sur l’existence d’une documentation informant des besoins d’arrosage des différents comestibles (en existe-t-il une ou est-il envisageable d’en réaliser une ?) et
- sur la réalisation d’arrosage automatique spécifiquement prévus pour les bacs des incroyables comestibles.
L’autoconstruction des bacs par récupération de palettes est à mon avis une des valeurs importante du mouvement. Mais cette autoconstruction doit-elle se limiter aux bacs ? Et si par la réalisation d’articles « auto-construits », elle se prolonge sur le plan des idées, ne pourrait-elle pas aussi prendre forme sur le plan de l’arrosage, par exemple ? En effet, on peut aujourd’hui évoquer la réalisation spécifique de systèmes automatiques réalisés dans l’esprit participatif des Maker Faire. Pour cela, ne serait-il pas intéressant de prendre contact avec de tels mouvements et envisager des collaborations comme celle initiée par les incroyables comestibles de Vannes avec les cuisiniers solidaires ?
Des associations et des valeurs
Pour la seconde année consécutive, les incroyables comestibles de Vannes ont donc reconduit leur journée Gratiféria. Car, selon eux, si partager entre nous, donner à d’autres des comestibles, c’est d’abord affirmer des valeurs, naturellement il n’y a pas de raison d’en rester aux comestibles. Cette journée doit donc être prise comme une modeste tentative d’aller plus loin en donnant divers objets à n’importe qui tout en en partageant l’expérience par la rencontre et même, avec l’association des cuisiniers solidaires, d’offrir des repas uniquement réalisée avec des aliments récupérés : nous avons goûté une soupe de fraises avec eux et évoqué le monde de la récupération entourés de véhicules ultramodernes parqués sur des places payantes ! Que de contrastes en terre de Bretagne.
J’imagine que les incroyables comestibles ont tout à gagner à entreprendre avec d’autres associations de valeurs identiques aux leurs.
Un lieu atypique, une place décentrée à l’extérieur des remparts de la citée médiévale, des gens attachants, des idées peu courantes, tels furent les ingrédients d’une belle rencontre estivale que je voulais partager ici pour leur rendre hommage.
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